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Des mots sur l'éphémère



Dans notre monde considérablement urbanisé, la présence du vivant manque parfois cruellement. Cette absence croissante de nature se reflète dans notre rapport à l'autre qui perd peu à peu sa qualité d'être humain au profit de celle d'entité lointaine, floue et défigurée.

Du temps passé à contempler les plantes, les arbres et les êtres vivants découle une certaine aptitude à prendre du recul sur soi-même et sur les autres. Tout cela nous ramène à notre condition première et partagée par tous : la brièveté de notre existence dans un monde qui  reste constant sous nos pieds. Cette fugacité de la vie humaine m'interroge beaucoup et tout particulièrement lorsque l'Homme se déchire et se perd dans des conflits vains et cruels.

Cette fugacité a interrogé de nombreux penseurs, philosophes et écrivains. Les Notes de ma cabane est un recueil représentatif de ces questionnements vécus de tout temps. Kamo no Chōmei, auteur japonais, poète, et essayiste du XII, XIIIème siècle a traversé de nombreuses épreuves tout au long de sa vie. Des incendies, des épidémies et des tremblements de terre ont profondément marqué sa perception de la vie au point qu'il éprouve le besoin de s'éloigner de la civilisation en choisissant l'exil pour se défaire de ses tourments et retrouver une pleine présence au monde. Les Notes de ma cabane a été publié aux côtés des Heures oisives, d'Urabe Kenko, auteur japonais et moine bouddhiste du XIVe siècle. Les heures oisives est un ensemble de textes, plus ou moins courts, portant sur la beauté de la nature, les traditions, l'amitié mais aussi sur le caractère transitoire de la vie et l'impermanence de toute chose. Ces deux textes existent également sous forme d'extraits dans la collection folio sagesse sous le titre Cahiers de l'ermitage.

Ces deux poètes-ermites tentent d'exprimer par des mots, leur manière de constater l'impermanence pour profiter pleinement des instants spontanés et surprenants que donnent à voir le vivant dans la nature. Or, on retrouve largement ce thème dans la littérature japonaise et en particulier dans la poésie. Je pense évidemment au haiku, forme poétique courte, respectant un rythme de 5-7-5 syllabes. Le haiku, de par sa forme brève, capture avec beaucoup d'exigence l'instant éphémère de la réalité dans un paysage à peine dit, qui se devine plus qu'il ne se lit. Il n'y a pas à dire, il s'agit vraiment de la forme littéraire la plus proche d'une tentative de capturer ce qui est là maintenant, bien que voué à disparaître à la seconde suivante.

Nombreuses et remarquables sont les anthologies de haiku vers lesquelles vous pourriez vous diriger. Les excellentes éditions Moundarren y sont très attachés tout comme le sont les éditions Le Bruit du Temps. Dans la collection Classiques en image, les éditions Seuil proposent de très beaux ouvrages thématiques tels que Haikus en voyage ou Haikus Pensées de femmes dans lesquels vous retrouverez les évidents Bashô, Issa et Buson entre autre. Haiku est une excellente anthologie, récemment rééditée contenant les plus grands classiques. Découpés en chapitres saisonniers, les haiku mettent parfaitement en valeur l'importance du mot-saison (kigo), qui place souvent le décor. Les traductions y sont extrêmement bien travaillées et les poèmes présents ravissent l'imagination en générant des images très naturellement. La présence de la romanisation permet de lire à haute voix, dans la langue originale pour en capter la musicalité. Parfois, les haiku se teintent de nostalgie et de tristesse devant le passage du temps et la prise de conscience soudaine de la perte de ce qui était. S'ensuivent des haiku surprenants qui viennent détourner l'inquiétude en une émotion plus légère, plus apaisée. L'humour n'est jamais loin et on imagine aisément les haïjins (auteurs de haïku) sourire malicieusement, les yeux brillants d'amusement. En voici un exemple, tiré de Haiku :

Dîtes-leur bien

que j'étais un mangeur de kakis

aimant les haikus !
(Shiki, XIXe s.)

Ce côté éphémère teinté de nostalgie est à retrouver dans les écrits de Ryoko Sekiguchi et en particulier avec Nagori dans lequel cette autrice-traductrice évoque l'attachement aux saisons présent dans la culture et la langue japonaise que l'on retrouve dans les haiku.

La poésie essaye de capturer l'instant par les mots et la musicalité de la langue, la photographie dans sa conception même, capture également la fugacité des moments passés. Mikiko Hara, photographe japonaise, possède cette élan nostalgique et poétique traduit par des clichés qui documentent la vie quotidienne. Dans Small Myth, Mikiko Hara observe et capture des fragments de la vie des habitants de son quartier comme ils sont. Rendus flous par leur fugacité, il se dégage de ces clichés une empathie mélancolique qui attire l’œil et le cœur.


Bibliographie

Les heures oisives
13.90 €
Disponible
Cahiers de l'ermitage
3.50 €
Disponible
Haïkus : en voyage
19.90 €
Disponible
Haïkus entre ciel et terre
28.00 €
Disponible
Haiku
9.90 €
Disponible
Haijins japonaises, anthologie du rouge aux lèvres
8.80 €
Disponible
Nagori : la nostalgie de la saison qui vient de nous quitter
7.40 €
Disponible
Mikiko Hara : small myths
50.00 €