D'une âme à l'autre, à la recherche de sens malgré la dureté du monde avec Han Kang
A l'occasion de la sortie du roman "Impossibles adieux", découvrez l'oeuvre de Han KangHan Kang 한강 est née dans la ville de Gwangju en 1970. Son père, Han Seung-won, étant lui-même un grand écrivain reconnu, elle a été très tôt au contact des livres et de la littérature. Ayant souvent changé d’école quand elle était jeune, elle a trouvé refuge dans la bibliothèque familiale, auprès de la présence apaisante des livres.
Elle fait ses débuts littéraires en publiant plusieurs poèmes dans la revue trimestrielle ‘Littérature et société (문학과 사회) en 1993. L’année d’après, elle remporte le concours printanier du quotidien Seoul Shinmun (서울신문) avec la nouvelle L’Ancre rouge (붉은 닻) encore inédite en France.
Écrivaine majeure de la littérature contemporaine coréenne, elle a publié plusieurs recueils de nouvelles, des romans et de la poésie.
En 2016, elle est la première Sud-coréenne à obtenir le Man Booker Prize, pour la traduction anglaise de son roman La végétarienne. Cette récompense lui apporte une reconnaissance internationale, renouvelée à plusieurs reprises les années suivantes, en remportant d’autres prix internationaux.
Dans ses romans, elle aborde souvent les violences physiques et morales que subissent ses personnages dans une société brisée où il faut soi-même devenir prédateur pour conserver sa dignité. Bien souvent, ses personnages choisissent toutefois de refuser la violence, trouvant une voie différente vers une autre forme de dignité. Pour cela, la seule issue semble alors de s’extraire du monde animal, du monde des hommes. C’est le cas de Yong-hye, personnage principal de La Végétarienne qui cesse de consommer des produits d’origine animale après avoir fait un rêve et tente de se transformer en arbre petit à petit.
Cette violence se traduit souvent très directement sur le corps dans les textes de Han Kang. Jeong Eun-jin, qui a traduit entre autres La Végétarienne décrypte le rapport au corps dans l’écriture de la romancière dans l’article « La conscience du corps confronté à la violence chez Han Kang », paru dans la revue « Le corps dans les littératures modernes d’Asie orientale : discours, représentation », intermédialité, disponible dans son intégralité en cliquant ici.
Dans chacun de ses ouvrages, l’autrice ne cesse de réfléchir à l’existence de l’être humain, à ses contradictions, à sa capacité à aimer sans pourtant se comprendre, ni soi-même, ni les autres.
Dans un entretien réalisé pour le numéro des mois de janvier-février 2018 de Critique, elle observe : « Il y a en l’homme de l’innocence, de la sainteté, il y a le sacrifice de celui qui se jette à l’eau pour sauver un enfant, et il y a les innombrables massacres perpétrés dans l’histoire. Le spectre de l’humanité de l’homme va de la zone la plus lumineuse à la zone la plus sombre. »
Dans ce même entretien, elle explique aussi que « la "douleur des choses de ce monde" avait toujours été un élément important de mes romans. Ce qui m’intéresse, c’est d’aller plus profondément dans l’intériorité humaine. »
L’histoire de son pays a une place importante dans son écriture. Dans La Végétarienne (2007) et Impossibles adieux (2021) le rôle des soldats dans la guerre du Vietnam aux côtés de l’armée américaine est mentionné. Dans Celui qui revient (2014), ce sont les terribles répressions du gouvernement militaire du dictateur Cheon Du-hwan sur la population civile qui forment le sujet principal du récit. Une tragédie qui a profondément marqué les Coréens.
La famille de Han Kang a habité à Gwangju plusieurs années, et n’a déménagé à Séoul que quelques mois avant les massacres du mois de mai 1980. Bien que sa famille n’ait souffert d’aucune perte, cette tragédie a profondément marqué Han Kang. Pendant l’écriture du roman, elle raconte avoir eu parfois énormément de mal à n’écrire ne serait-ce que quelques phrases par jour, tant ses découvertes étaient douloureuses. En aurait résulté de terribles cauchemars. « J’ai fouillé dans le passé, j’ai aussi réfléchi aux raisons qui me rendaient si pénibles ces retrouvailles avec le passé ; et j’ai conclu que je ne pouvais surmonter tout cela que par l’écriture. »
A propos des événements de Gwangju, elle dit :
« La plupart des gens de ma génération n’ont découvert la vérité sur la répression de ces émeutes, qui a fait beaucoup de victimes, qu’en entrant à l’université, vers l’âge de dix-huit ans ; moi, j’ai connu très tôt les faits par ma famille. J’ai ressenti ces événements non pas de manière politique, mais comme mettant en jeu, l’essence même de l’humain. Plus qu’une conscience critique au sujet du gouvernement militaire, deux énigmes insolubles se sont alors gravées en moi. Pourquoi un être humain est-il aussi cruel à l’encontre d’un autre être humain ? Comment certaines personnes font-elles face et résistent-elles à cette cruauté ? »
Dans son dernier roman paru en français, Impossibles adieux elle narre un autre massacre perpétré par des Coréens sur des Coréens : le soulèvement de Jeju, qui commença le 3 avril 1948. Une nouvelle fois, la souffrance de l’existence est mise en écho avec des événements du passé ayant traumatisés une partie de la population.
Le jeudi 10 octobre, elle se voit décernée le prix Nobel de littérature pour sa prose poétique intense qui affronte les traumatismes historiques et expose la fragilité de la vie humaine.
Sources :
- 18 mars 2016, Interview HAN Kang pour Keulmadang
- « La conscience du corps confronté à la violence chez Han Kang » pour Le corps dans les littératures modernes d’Asie orientale : discours, représentation, intermédialité par Jeong Eun-jin
- Entretien avec Han Kang pour le numéro de Critique « La Corée, combien de divisions ? »
- Site officiel
- Vidéo : Han Kang Interview: The Horros of Humanity
- Han Kang and the Complexity of Translation, par Jiayang Fan pour The New Yorker
- Le prix Nobel de littérature 2024 attribué à l'autrice sud-coréenne Han Kang