Partir à la découverte du pansori avec Hervé Péjaudier et Han Yumi
A l'occasion de la présentation musicale du Simcheongga, Hervé Péjaudier et Han Yumi ont accepté de répondre à quelques questions pour présenter le pansori.
1. Pour commencer, qu’est-ce donc que le pansori ?
Le pansori est un art de la scène coréen traditionnel, transmis oralement depuis le XVIIIe siècle, venu des foires et marchés du Jeolla avant de gagner bientôt l’ensemble de la péninsule, de fasciner les couches élevées de la société, et de parvenir à traverser les dures épreuves du XXe siècle (colonisation, guerre, dictatures). Aujourd’hui, les interprètes sont vénérés comme Trésors Nationaux, et l’UNESCO a nommé le pansori Patrimoine immatériel universel en 2003 : nous fêtons donc cette année les 20 ans de cette reconnaissance internationale.
2. Pouvez-vous nous décrire brièvement comment se déroule un spectacle de pansori ?
Un seul interprète, homme ou femme, vêtu d’un hanbok, armé d’un simple éventail et accompagné d’un joueur de tambour, joue et chante tous les rôles de merveilleuses histoires qui peuvent durer plusieurs heures. Ce qui frappe en premier est la puissance et la raucité de ces voix qu’on dit forgées à lutter contre les torrents ! L’accompagnateur au tambour est très actif par son « chuimsae », cris d’encouragements que le public reprend aussi, un peu comme dans le flamenco, ce qui donne un aspect très vivant au spectacle
C’est une très bonne question ! Depuis une trentaine d’années, des universitaires travaillent à recueillir les textes de chanteurs ou chanteuses, pour en faire des éditions annotées, et même très annotées, car ces textes sont dans une langue un peu ancienne, et / ou patoisante. Il existe deux grandes écoles distinctes, elles-mêmes avec des sous-branches, et chaque grand-maître a pu aménager sa propre version. Nous avons donc des textes présentant selon les interprètes, même d’une même école !, de multiples variantes... Le pansori est un genre très vivant, et même s’il ne reste que cinq œuvres « canoniques », qui sont la base du « pansori classique », il continue de se transmettre et d’évoluer.
4. Quelle place occupe le pansori dans la Corée moderne ?
Reconnu comme patrimoine classique coréen incontournable, il subit le sort de toute culture classique dans notre monde moderne, comme la musique classique ou baroque en Occident : « un genre élitaire, réservé aux vieux, qu’on ne comprend plus », etc. Mais ce n’est pas vrai : beaucoup de jeunes se passionnent, et surtout il existe à côté du répertoire classique une incessante création de nouveaux pansoris, dits « de création », qui utilisent cette forme pour parler du monde d ’aujourd’hui.
5. Parlez-nous un peu de vous à présent, comment votre chemin a-t-il croisé celui du pansori pour la première fois ?
En ce qui me concerne (Hervé Péjaudier), la découverte a eu lieu à la fin du XXe siècle, et été foudroyante : dès le premier CD acheté par curiosité, j’ai été scotché par la voix, le rythme, la puissance, le mystère. Depuis, je me suis aperçu que la plupart de mes amis musiciens, compositeurs ou improvisateurs, étaient fous du pansori, avant même d’avoir eu la possibilité d’en voir en France ! Et puis il y a eu le Festival d’Automne 2002, qui a osé présenter sur 5 jours l’intégrale des 5 pansoris classiques par les plus grands maîtres, et nous avons eu la chance inouïe de nous en voir confier le surtitrage ! 20 heures de spectacle, au contact quotidien des interprètes ! C’est là que nous avons découvert qu’en plus d’être un genre vocal inouï, les textes chantés, polis par les siècles et les maîtres, étaient de vrais chefs d’œuvre de l’histoire de la littérature. Nous avons aussi appris à quel point le surtitrage littéraire est un véritable art de la scène, qui doit coller au rythme du chanteur tout en se faisant oublier.
6. Quelles sont les particularités de la traduction du pansori, un art scénique qu’on pourrait penser peu adapté à une forme écrite ?
Cela a été notre première préoccupation en tant que traducteurs : comment conserver l’oralité rythmique de ces textes admirables, et comment rendre tous les registres du langage, du plus savant au plus populaire, du rire aux larmes ? Par ailleurs, nous nous sommes posées des règles strictes : choisir une version de chanteur, et s’y tenir ; respecter et indiquer toutes les alternances de récitatifs et de rythmes ; enfin, nous interdire toute note en bas de page qui viendrait transformer la lecture en course d’obstacles : et pourtant, me dira-t-on, ces textes méritent des commentaires ! Oui, absolument, et c’est pourquoi nous les avons développés dans une deuxième partie, abondante et pédagogique, dont la lecture peut être autonome, et ultérieure : car ce qui compte avant tout, c’est le plaisir qu’on prend à lire l’histoire. J’ajouterai qu’à force de tester la bonne oralité de notre texte français, j’ai fini par devenir « pansoriste », c’est-à-dire que je joue en français nos traductions, et je vais même créer un spectacle au Théâtre Mandapa pour la prochaine Nuit du Dragon, à l’occasion du jour de l’an lunaire, mais c’est une autre histoire, nous en reparlerons peut-être ?
K-VOX, pour Voix Coréennes, nommé ainsi pour nous distinguer de... la K-Pop, est un festival que nous avons créé voici onze ans avec Han Yumi, comme prolongement de nos activités de traducteurs de pansori et de théâtre, directeurs de collection, surtitreurs... Nous l’avons surnommé FMI, Festival Modeste Itinérant, car nous n’avons ni lieu particulier, ni date fixe ! Mais bon an mal an, nous œuvrons à faire connaître la culture coréenne autour de la musique et de la littérature... Cette année, nous avons construit une sorte de parcours autour de la figure fameuse de Sim Cheong, et notre passage au Phénix avec la chanteuse et son accompagnateur est un jalon qui nous réjouit : nous aimons rencontrer votre lectorat curieux et ouvert.
8. De manière succincte (il faudra venir à la présentation pour en apprendre plus !!!), qui est donc Simcheong ?
Sim Cheong est une figure féminine coréenne identitaire, censée illustrer la piété filiale : je laisse le lecteur se reporter à la présentation du livre ! Mais que penser vraiment de cette jeune fille qui se vend à des marins pour sauver son vieux père aveugle du parjure au Bouddha, hors du contexte féérique qui la sauvera ? Comme toutes les fables, celle-ci révèle un grand nombre de pistes de lecture !
9. Simcheongga, une satire ou bien une ode à la piété filiale ?
On peut considérer ce texte comme une authentique ode à la piété filiale, qui lui donne une grande force poétique, émouvante justement par son côté fantastique, voire fantasmatique, mais la dimension satirique, issue de la culture populaire, est également remarquable et met en perspective la feinte naïveté du récit.
10. Recommandez-vous un pansori en particulier pour découvrir cet art ?
Pour ce qui est disponible en français, nous recommandons au lecteur intéressé de découvrir Sugungga, Le dit du palais sous les mers, pansori classique extraordinaire, une fable du lapin et de la tortue que gagne finalement le lapin malin, véritable tricker des contres populaires. Et pour découvrir la vitalité du genre aujourd’hui, on lira avec bonheur Le dit de Sichuan, d’après Brecht, de la grande Lee Jaram, qui a révolutionné le pansori de création dans les années 2010, que nous présentons avec tout un dossier pédagogique.
Nous remercions chaleureusement Hervé Péjaudier et Han Yumi de s'être prêtés au jeu des questions réponses à distance et nous vous invitons grandement à venir les rencontrer lors de la présentation musicale, qui s'annonce passionnante.
Et pour aller plus loin dans la découverte de la littérature corénne, la collection Scènes coréennes des éditions Imago est un must.