La légende de Hong Gil-dong selon Kim Hee-bok
Samedi 5 octobre au matin, nous recevions la professeure de coréen Kim Hee-bok, pour discuter ensemble de La légende de Hong Gil-dong, qu’elle a récemment adapté pour les apprenants du coréen d’un niveau intermédiaire.
Avant de parler d’apprentissage de la langue coréenne et du travail d’adaptation de la langue, Kim Hee-bok nous a expliqué les origines de Hong Gil-dong, figure importante de la culture littéraire et populaire coréenne, adaptée à de nombreuses reprises, dans des genres allant du manhwa au jeu vidéo.
L'histoire du héros Hong Gil-dong serait à priori inspirée par la vie de deux hommes ayant existé sous la dynastie Joseon (1392-1895). Tout comme le personnage de fiction, le premier serait lui aussi prénommé Hong Gil-dong et le fils illégitime d’un aristocrate. Devenu chef d’une bande de brigands, il se déguisait en fonctionnaire dans le but de voler les autorités locales de sa province. On retrouve des traces des méfaits de ce Hong et de sa bandes de malfrats dans les annales de la dynastie Joseon (조선 왕조실록). Avant de devenir un personnage fictif admiré et connu pour son côté « Robin des bois », Hong Gil-dong était donc un homme plutôt mauvais dont le nom était même utilisé comme une insulte.
Le second homme, cette fois-ci à l’origine du côté héroïque de notre personnage, serait un autre grand voleur de l’époque appelée Yim Kkeok-jeong, issu de la classe sociale la moins considérée. Grâce aux mêmes annales que celles mentionnées plus haut, on sait qu’il a été condamné en 1562, soit quelques années seulement avant la naissance de l’auteur supposé être à l’origine de la Légende de Hong Gil-dong... L'auteur est donc un contemporain de Yim Kkeok-jeong ! C’est ainsi que certains ont supposé que l’auteur se serait inspiré de ces deux individus pour créer le personnage de Hong Gil-dong.
Dans cette histoire, considérée comme le premier roman écrit directement en hangeul* vers 1610, Gil-dong est extrêmement intelligent, maitrise l’art de la guerre et possède même quelques pouvoirs surnaturels. Cependant, en tant que fils illégitime, l’ascension sociale lui reste interdite. Menacé par sa belle-mère et ses machinations, il s’enfuit et devient un peu par hasard le chef d’une troupe de brigands qui agit en faveur des opprimés. Ainsi, il prend le rôle de justicier qui punit les fonctionnaires corrompus et les riches qui s’enrichissent sur le dos du peuple.
Kim Hee-bok suppose que si ce roman a été autant adapté, c'est qu'il serait potentiellement lié au sentiment d’injustice que ressentent les Coréens vis-à-vis de leur société. Peut-être attendent-ils un nouveau Hong Gil-dong qui rétablirait la justice et la paix ?
Dans la continuité de son premier ouvrage, qui contient déjà six contes traditionnels appartenant au patrimoine culturel coréen, Kim Hee-bok explique avoir choisi ce texte pour la collection des Histoires faciles à lire des éditions Ophrys, dans le but de partager un récit faisant partie de la mémoire collective coréenne avec des apprenants du coréen. La légende de Hong Gil-dong est connue à un point tel que le nom de Hong Gil-dong est utilisé comme exemple dans les formulaires administratifs en Corée. Cela vous laisse imaginer la familiarité que peuvent ressentir les Coréens envers ce personnage et sa légende. Pour Kim Hee-Bok, lire dans son intégralité la légende permet de comprendre la pensée et la manière de vivre de l’époque. Comprendre la société de Joseon aide à la compréhension de celle du présent, de la Corée contemporaine. En travaillant autour de cette légende, Kim Hee-Bok a regretté ne pas avoir étudié La légende de Hong Gil-dong d’un point de vue historique dans son adolescence, ce qui l’aurait aidé à porter un regard plus analytique sur la société et sur elle-même.
Comme mentionné ci-dessus, cette version de la Légende de Hong Gil-dong est donc adaptée pour un public d’apprenants d’un niveau intermédiaire. En France et selon le cadre européen de référence, nous catégorisons le niveau intermédiaire par les qualifications B1 et B2. Cela signifie qu’en validant le niveau B1, on doit pouvoir comprendre les points essentiels lors d’une conversation sur des sujets de la vie courante. Quant à la validation du niveau B2, elle permet de comprendre le contenu essentiel d’un texte complexe. Pour l’adaptation de son ouvrage, Kim Hee-bok a d’abord comparé les qualifications européennes à celle en vigueur en Corée, plus connue sous le nom de TOPIK (Test Of Proficiency in Korean). D’après la liste officielle de l’examen coréen, il est nécessaire de connaître environ 5900 mots de vocabulaire et 200 éléments grammaticaux pour obtenir un niveau intermédiaire. C’est en se basant sur les deux systèmes qu’elle a établi son plan d’adaptation du texte.
Après avoir défini le niveau, Kim Hee-bok a expliqué lors de la rencontre à la librairie avoir dû moderniser la langue. En effet, comme évoqué précédemment, il s’agit d’un texte ancien dont la première version date du XVIIe siècle. Dans son processus d'adaptation, après la modernisation, c'est sur la question du vocabulaire que s'est concentrée l'autrice. Une question assez complexe car il n’est pas facile de remplacer un mot par un autre sans avoir l’impression de "soustraire au récit son corps, son essence". C’est dans cette optique que la professeure a décidé de conserver certaines tournures anciennes ainsi que le vocabulaire typique de l’époque. En revanche, la grammaire étant plus facilement malléable, Kim Hee-bok a pu relativement facilement couper certaines phrases trop complexes ou bien réduire des descriptions un peu longues.
Enfin, c’est sur les bienfaits de la lecture dans l’apprentissage d’une langue que j’ai pu l’interroger. Selon elle, il y a évidemment le plaisir de découvrir un monde inconnu, une caractéristique propre à la lecture en général. Quand on lit une langue qu’on ne maîtrise pas encore, se confronter à la lecture d’un texte long peut paraître laborieux. Néanmoins, on conserve un certain confort psychologique, car on n’est pas dans la nécessité immédiate de s’exprimer en langue étrangère, la lecture étant enfin facilement adaptable au rythme de chacun.
Deuxièmement, une histoire contient beaucoup d’éléments linguistiques, qu’on les ait déjà appris ou non. Même si un apprenant a mémorisé certaines règles de grammaire et du vocabulaire, les occasions de les mobiliser au quotidien sont rares.
La lecture va avoir pour effet de réveiller les connaissances linguistiques endormies quelque part dans le cerveau. Ainsi, on peut plus facilement les mobiliser en cas de besoin plus tard. Et puis, la lecture fournit un contexte, permettant dès lors de comprendre plus facilement l’emploi des éléments linguistiques, même si on ne connaît pas tout le vocabulaire. Un lecteur pourra deviner et saisir le sens global, par l’esprit de déduction. La lecture d’une langue étrangère aiguise l’intuition pour mieux comprendre le fonctionnement de cette langue. L'idéal serait de lire régulièrement et même plusieurs fois un même texte, car chaque lecture peut nous révéler des choses que l’on n’aurait pas comprises dans un premier temps.
© photo : édition Ophrys
Merci à Kim Hee-bok d'avoir accepté de venir parler de son travail et de l'importance de connaître la culture d'un pays pour mieux le comprendre. Merci également aux éditions Ophrys pour l'accompagnement dans la préparation de cet événement.
* hangeul (한글) : nom de l'alphabet coréen, en coréen. En 1446, pendant la dynastie Joseon (조선), le roi Sejong (세종) et son gouvernement promulguent la création d'un alphabet qui remplacerait l'utilisation des caractères chinois, alors utilisés en Corée et réservés à une élite de lettrés. Cet alphabet, d’abord nommé « hunminjeongeum » (훈민정음) (« sons corrects pour l’instruction du peuple »), deviendra plus tard le hangeul (한글). Créé à l'origine dans le but d’instaurer une écriture universelle pour son peuple, dans les faits, les caractères chinois seront encore utilisés couramment jusqu'au XXe siècle.