Parcourir Hong-Kong à travers sa littérature
Il est souvent très frustrant de voir sur nos étagères bon nombre d'auteurs hongkongais non traduits. Je vous propose donc cette petite sélection pour mettre à l'honneur des traductions d’œuvres littéraires hongkongaises, des romans graphiques et manhua seront inclus.
Catmask Boy - Linus Liu
Dans ce manhua, nous suivons le jeune Tao Tigrou dans son quotidien d'écolier. Il galère à l'école, se débat avec ses rédactions, porte tout le temps un masque de chat en l'honneur d'un de ses super-héros préférés et s'amuse dans la rue avec ses amis. Mais voilà qu'un jour, il obtient enfin un bulletin de notes satisfaisant, il s'arrête voir son ami Kaillou pour discuter et jouer avec lui dans son magasin et quand il veut montrer ses résultats à la mère de son copain, il se rend compte qu'un client est parti avec ! Le voilà lancé à la poursuite de ce monsieur qui doit aller chez le dentiste du côté de Kowloon !! La fameuse citadelle où il n'a jamais mis les pieds et qui a très mauvaise réputation. Tao Tigrou va alors vivre des aventures assez rocambolesques, poursuivi par des gangs, acculé sur le sommet d'une tour sans échappatoire, il va aussi découvrir la vraie valeur de l'amitié. J'avoue ne pas être hyper attirée par le coup de crayon de l'auteur, mais j'ai été emportée par l'histoire. On est vraiment plongé dans la culture hongkongaise, de l'architecture des bâtiments et de la fameuse Kowloon, aux jeux de rue et séries télévisées. Le petit plus : des pages à la fin présentent certains aspects culturels du livre (Laura)
©Linus Liu, Editions La boîte à Bulles,
Catmask boy, mars 2025
©Linus Liu, Editions La boîte à Bulles,
Catmask boy, mars 2025
Jours de révolte - Gigi Leung Lee-chi
2019. Hong Kong. Panda et ses amis passent leurs journées à éviter les gaz lacrymogènes, à échapper à la police, à scander des slogans de protestation tout en continuant à réviser leurs examens, à dénicher le dernier restaurant à la mode et à échanger sur les réseaux sociaux. La violence devient une constante dans leur quotidien, leurs réseaux sociaux pullulent d'appels au don, au rassemblement, à la lutte, de messages de prévention contre les violences policières. Ils sont connectés H24 aux chaînes d'information, aux réseaux plus informels. Le moindre message est scanné au rayon X pouvant créer des débats d'une extrême violence, la moindre émotion est exacerbée. Comment peut-on continuer à vivre des jours insouciants quand tout explose autour de soi ? Comment peut-on faire société quand des divisions éclatent au moindre propos ? Comment se sentir soi-même quand on doit sans arrêt choisir un camp, une opinion, et être "héroïque" ? Comment vivre librement quand tout est fait pour que vos moindres faits et gestes soient surveillés par le gouvernement ? Toutes ces thématiques sont au cœur du roman de Gigi Leung Lee-Chi.
Roman choral, articulé autour du personnage de Panda, Jours de révolte nous entraîne aux côtés des habitants de Hong Kong durant les grands mouvements de protestation de 2019. Ce roman donne un coup d'éclairage à cette période historique contemporaine, tout en questionnant notre rapport à l'actualité et aux autres en période de contestation, de troubles. D'une plume alerte, Gigi Leung Lee-Chi décrit avec beaucoup de finesse des portraits de vie, marquant la singularité de chaque être dans un monde où beaucoup voudraient que nous ne soyons qu'une ombre parmi la foule. Mention spéciale à la traductrice qui a su conserver la volonté de l'autrice d'imprégner son récit de mots et de phrases en cantonais ! (Laura)
Jentayu, revue littéraire d'Asie Hors-série N°5 : Hong Kong
L'avant-propos et l’introduction donnent le ton. Il sera question de langue et de mélange de langues en l'occurrence, un point clé indissociable de l’histoire de Hong Kong comme de son présent. Dans son poème Zoologie postcoloniale, Nicholas Wong parle des hongkongais comme de “centaures bilingues”, des expériences créées par la colonisation britannique. La langue est au centre des réflexions du personnage de Wong Yi dans sa nouvelle La mariée traversant l’océan. Néanmoins ces mélanges se retrouvent également dans les traversées et les rencontres passées à Hong Kong, terre de croisement, terre d’exil ou de fuite. Xiaosi l’exprime à merveille dans son entretien autour du Hong Kong de Eileen Chang et Wang Anyi ou dans le poème Nasi dan Santan de Leung Ping-kwan.
Il est difficile de ne pas passer à côté des événements récents de 2020, héritiers des événements de 2014. Nombreux sont les textes dans ce recueil qui les mentionnent de manière plus ou moins frontale. Le poème de Xixi Arrêt de nuages en distille les prémices, accentués par l’excellente nouvelle de Leung Lee-chi Pièces vides, racontant le départ d’une famille du point de vue des objets de leur appartement. L’absurdité des gouvernants de Hong Kong est ensuite mise en image par Dorothy Tse dans Sombres choses soulignée par les poèmes de Jennifer Wong et enfin clairement montrée par le journal de Hon Lai-chu avec Soleils noirs. Ces textes racontent l'incrédulité et le désespoir devant le vol des libertés. Elle rappelle que pour les Hongkongais, “les ténèbres [...] sont tapies dans les tréfonds du quotidien, agrégations progressives des ravages engendrés par l’Histoire.” Hon Lai-chu marque l’importance de protéger “la valeur infinie” de cette liberté. Un concept volé aux habitants de Hong Kong qui ne peuvent plus que “résister sans relâche contre la vermine qui a entrepris de dévorer la cité.” Le rêve et l’imaginaire ont également leur place dans Montagne et Le Bibliotarium de l’île-distante, deux nouvelles plus mystérieuses qui débutent et terminent ce numéro. L’amour aussi, bien que souvent vécu dans la solitude accentuée par la ville, y est présent. (Clémence)
Hong Kong, cité déchue - Lau Kwong-ShingL'ouvrage d'un jeune artiste engagé, témoignage du cœur bouillant des Hongkongais dans la tourmente !
En lisant "Hongkong, cité déchue", on aimerait se dire qu'on se lance dans une énième dystopie, que ça va être parfois dur à lire mais aussi exaltant. Pourtant, les planches et les illustrations qui défilent sont bien réelles. Elles représentent la vérité de ce que les Hongkongais ont vécu et vivent encore dans leur lutte pour leurs droits et pour leur liberté. L'auteur, Kwong-Shing Lau, est né à Hongkong, puis est parti vivre au Japon avec ses parents. À 8 ans, sa famille doit finalement rentrer en Chine et le jeune garçon connaît alors des brimades et des moqueries de la part de ses camarades comme de ses professeurs. Les stigmates de la guerre du Pacifique sont encore bien présents et les « bâtards de jap' » sont encore pris à partie. Ce qui le sauve et le tient hors de l'eau, c'est le dessin dont il a fait son métier en grandissant et qu'il utilise à présent comme médium pour s'engager politiquement et pour témoigner. Nous avons beau nous croire loin de toutes ces violences physiques et morales qui ont commencé finalement bien avant les manifestations de 2019 à Hongkong, nous devons nous rendre compte de la fragilité de notre monde libre. Au fil des pages, on ressent évidemment l'amertume et la douleur de l'auteur d'avoir observé directement ses concitoyens souffrir, se battre contre une police violente, sans scrupule et un gouvernement décidé à tout leur enlever, y compris leur vie. L'injustice bouillonne à l'intérieur, décrite dans le trait précis de l'auteur qui forme ses personnages et qui les remplit de traits griffonnés rappelant une colère à peine contenue.
Une première nouvelle raconte son propre parcours, puis un ensemble de planches, appelées « Hongkong 2019-2028 », propose une réalité imaginée étrangement proche de notre réalité. Kwong-Shing Lau passe ensuite à des planches exprimant la "pause" du mouvement de protestation pendant le covid. Il nous rappelle les douleurs du personnel soignant, à bout de souffle, réclamant désespérément un confinement de la ville. Enfin, une nouvelle intitulée "Flashback génération perdue", écrite en 2014, revient sur la jeunesse déjà bafouée qu'on privait d'espoir et de possibilité de s'imaginer devenir quelqu'un. Ce jeune artiste fait preuve de beaucoup de courage en dessinant ces planches. Critiquer le gouvernement de Hongkong et aussi et surtout le PCC est aujourd'hui presque impossible. Or il est indispensable de se souvenir de la chute de Hongkong, de ce cri qu'a poussé toute une ville pour tenter de respirer, de conserver les libertés qu'elle possédait, malgré les coups, malgré la mort.
©Kwong-shing Lauu, Editions Rue de l'échiquier,
Hongkong, cité déchue
,Octobre 2021
©Kwong-shing Lauu, Editions Rue de l'échiquier,
Hongkong, cité déchue
,Octobre 2021
En espérant que cette sélection vous aura donné envie de vous plonger dans la littérature hongkongaise, et que d'autres œuvres traduites voient le jour !