La littérature chinoise pendant la période républicaine (1911-1949)
La littérature produite à cette époque est tout aussi passionnante et dense que l'Histoire chinoise de cette même période. Après des siècles gouvernés par des empereurs, les Chinois connaissent de profonds bouleversements, que ce soit au niveau politique comme au niveau intellectuel. En effet, après la révolution menée (entre autres) par Sun Zhongshan (Sun Yat-sen) et l'abdication du dernier empereur Puyi, la République de Chine est proclamée. Cela entraîne une grande liberté qui se ressent également dans les œuvres littéraires. Les jeunes intellectuels ont soif de changements et désirent plus que tout modifier en profondeur la société chinoise grâce à leurs écrits. Ils espèrent ainsi réveiller leurs concitoyens et leur montrer une nouvelle voie, celle de la démocratie et du modernisme, afin de pouvoir tenir tête aux puissances occidentales.
Les prémices
Il y a eu de premières ébauches littéraires allant dans ce sens-là, mais l'événement marquant est bien sûr la création de la revue « 新青年:La jeunesse » (avec le sous-titre en français) par Chen Duxiu en 1915. Cette revue prôna de nouvelles valeurs dans divers articles et manifestes, écrits par Chen Duxiu lui-même et par Hu Shi. Ils y ont critiqué la pensée confucianiste et les coutumes traditionnelles, tout en présentant de nouvelles idées venues de l'Occident. La revue proposa de nombreuses traductions d'œuvres étrangères dont s'inspireront les jeunes intellectuels chinois. Il faut par exemple noter le succès retentissant de « La maison de poupée » d'Ibsen, passionnant toute une génération (et plus !) . Dans cette revue, les écrivains sont également incités à abandonner la langue chinoise classique pour une langue vernaculaire appelée 白话 (bai hua), plus accessible de tous. C'est ainsi que la nouvelle de Lu Xun “狂人日记” Le journal d'un fou paraît en 1917, œuvre emblématique écrite dans cette nouvelle langue. L'écrivain, que l'on appelle « le père de la littérature moderne » souhaite ici réveiller le peuple chinois en utilisant des métaphores, notamment celle d'une société cannibale. Le cri du cœur de l'auteur « Sauvez les enfants ! » nous montre son souhait que le peuple chinois se réveille de cet état amorphe qui est le sien, pieds et poings liés par le carcan de la tradition. Ce « médecin de l'âme » ne cessera d'œuvrer pour amener le changement.
L'effervescence intellectuelle
Les jeunes de cette époque, notamment ceux issus de familles aisées, ont fait une partie de leurs études à l'étranger (au Japon, en France etc.), leur permettant ainsi de découvrir de nouveaux horizons. Ils avaient une grande soif de changements et sont devenus des acteurs actifs dans le mouvement pour une nouvelle culture (新文化运动). Jamais la chine n'a connu période aussi prospère intellectuellement. C'était une effervescence et un foisonnement d'échanges et de débats ! Cette période a ainsi vu éclore moult sociétés littéraires, comme la société « Création », la « Société d'études littéraires », et de nombreuses revues (Selon Mao Dun, il y en avait une centaine en 1925).
L'exaltation des sentiments
Les jeunes auteurs écrivaient avec passion, et nous découvrons dans leurs œuvres une explosion des sentiments : il est devenu à la mode de parler de soi. La nouvelle est le genre privilégié de l'époque, forme courte, mais dense, et ils y excellent ! Il m'est impossible de ne pas citer la célèbre nouvelle “沉沦” (« Le naufrage ») publié en 1921 de l'auteur Yu Dafu que j'apprécie particulièrement. Cet écrit a été jugé sulfureux pour l'époque. Nous y suivons un jeune chinois parti continuer ses études au Japon. Il se trouve confronté au racisme et au mépris de ces camarades japonais. Pourquoi un tel mépris ? Parce que la Chine était considérée comme décadente et arriérée. Appel donc à nouveau ici au changement en profondeur des façons de penser pour lancer le pays sur la voie du modernisme. Et la touche sulfureuse ? Il est question dans la nouvelle des sentiments et de choses intimes (je pense notamment à la scène où ce jeune étudiant espionne la fille de son logeur en train de se laver). Le romantisme est lui aussi à l'honneur. Certains considèrent les œuvres comme étant trop « mièvres », « dégoulinantes de sentiments », mais il est très intéressant de voir que les sentiments à l'époque étaient poussés à l'extrême. En effet, nous avons l'impression que les siècles de refoulement se font sentir et les sensations en sont d'autant plus fortes et exagérées. Les personnages des romans et nouvelles des années 20 sont très sensibles, à fleur de peau, ils pleurent, ils aiment et se déchirent, ils tombent malades à cause de tracas. Tout est ressenti puissance dix. Le romantisme est également très présent dans la poésie moderne. Les poèmes de Xu zhimo, jeune auteur talentueux, en sont par exemple la preuve. Certains parlent d'amour, de rencontres (“偶然” en 1926), de tristesse. Il a également rendu hommage à sa 母校 (« école ») dans un de ses poèmes les plus connus “再别康桥” en 1928.
La littérature comme témoin d'une époque
Les œuvres de l'époque républicaine ont une grande valeur historique. Il nous donne en effet beaucoup de détails sur la société et la façon dont est perçue les faits historiques et politiques. J'aime prendre en exemple la trilogie de Ba Jin (mon auteur préféré) « Famille » (1931), « Printemps », « Automne », véritable saga familiale et fresque de son temps. Nous y suivons le quotidien d'une famille aisée typique dans le sichuan. Toute la famille vit ensemble (les grands-parents, les oncles et les tantes, les cousins etc.). Les trois frères dont il est principalement question Juemin, Juehui et Juexin sont des exemples mêmes des différentes pensées de l'époque. L'aîné se voit coincé dans le carcan traditionnel : il doit porter le poids de toute cette famille étant l'héritier. Le troisième, quant à lui, est un jeune révolté et révolutionnaire, avide de changements et lisant avec passion les journaux à la mode. Il ne rêve que de rejoindre un groupe pour se lancer dans la révolution. Nous y voyons donc des jeunes passionnés, d'autres plus pondérés, les doutes et les espoirs de toute une génération, mais aussi les difficultés rencontrées. Ba Jin lui-même a une plume exaltée ! Nous remarquons petit à petit que certains auteurs se lancent dans des œuvres de plus longue haleine. Est-ce parce qu'ils ont une meilleure maîtrise de cette nouvelle langue ? Dans un style beaucoup plus sobre, Mao Dun a lui aussi écrit un roman très intéressant sur l'époque : “子夜” (« Minuit ») publié en 1933, dans lequel il nous entraîne dans le monde de la finance et nous dépeint la société shanghaienne des années 30.
L'opposition Haipai 海派 (« Ecole de Shanghai) / Jingpai 京派 (Ecole de Pékin)
Dans les années 20 et 30, la scène littéraire chinoise voit peu à peu un clivage se former entre deux écoles : celle de Pékin et celle de Shanghai. La première comprend notamment des auteurs comme Shen Congwen et Zhou Zuoren. Ils prônent une attitude anti-commerciale et anti-politique et désirent une littérature pure et autonome, ce qu'ils synthétisent par « L'art pour la vie »).
Dans le sud, le haipai est lui aussi apolitique, mais beaucoup plus moderniste. Les histoires se passent généralement à Shanghai, ou tout du moins dans des villes modernes, hautes en couleurs et scintillantes. Nous y suivons des dandys dans des dancings et des soirées, de jeunes chinois modernes et progressistes dans la cacophonie des bruits d'une ville en pleine effervescence. C'est ce que l'on considère être « de l'art pour l'art ». Mu shiying et Liu Na'Ou sont des auteurs emblématiques du Haipai. Ye Lingfeng, dont le roman Confessions inachevées vient d'être traduit en français, place lui aussi son histoire dans cette ville grouillante de vie et nous en donne un bon exemple.
Le tournant : la littérature comme une arme
La littérature du début des années 20 où il est question d'amour, du moi et des sentiments personnels va par la suite laisser place à une littérature plus dure, au pinceau plus acerbe. Suite à un drame ayant lieu dans une usine de Shanghai en 1925 (un ouvrier chinois tué par un contremaître japonais), certains écrivains se radicalisent. Nous voyons ainsi apparaître une littérature prolétarienne en 1928, puis l'association des écrivains de gauche est créée en 1930, dont Lu Xun en est le chef de file. Le marxisme devient un thème important dans les écrits et la notion de lutte des classes est de plus en plus présente. Nous parlons alors d'un réalisme socialisme. Avec l'invasion japonaise dès 1937, la littérature chinoise va à nouveau servir à rassembler les masses. Il est question de réveiller les consciences et d'inciter le peuple à résister à l'envahisseur, notamment à l'aide de pièces de théâtre données dans la rue. Avec les fameuses « Causeries » de Mao Zedong à Yan'an en 1942, la littérature chinoise va connaître de nouveaux bouleversements, tout du moins dans les zones communistes. Elle va alors servir à éduquer le peuple et sera un véritable outil de propagande.
Malgré la persistance à certains endroits d'une littérature accès sur l'individu, notamment avec les magnifiques œuvres de Zhang Ailing ( par exemple Deux-brûles parfums, love in a fallen city en 1943), Le pousse-pousse de Lao She (1936-1937) ou des romans satiriques sur la société chinoise avec l'œuvre phare de Qian Zhongshu La forteresse assiégée en 1947, la nouvelle littérature apparue les dernières années sera la seule acceptée une fois Mao Zedong et les communistes au pouvoir. Dès lors, cette grande période de liberté et de débats cessera et les auteurs chinois ne pourront plus s'exprimer comme ils le souhaiteront.
- Florine (passionnée de cette époque)