Poésie : quand les mots nous bouleversent
L'arrivée des beaux jours fut l'occasion de célébrer la poésie, avec notamment le "Printemps des poètes" qui eut lieu en France du 11 au 27 mars. Voici la définition que donne le Larousse de ce genre littéraire : "Art d'évoquer et de suggérer les sensations, les impressions, les émotions les plus vives par l'union intense des sons, des rythmes, des harmonies". Les mots ont un pouvoir particulier et plus encore lorsque le choix de chacun d'eux a été pondéré, réfléchi, dans le but de nous faire ressentir une émotion précise.
L'Asie offre une palette admirable de poèmes qui nous sont accessibles grâce au talent de nombreux traducteurs. Loin d'être exhaustive, nous avons, pour cette sélection, voulu vous parler de ceux qui nous semblent pertinents.
Concernant la poésie classique chinoise, les Élégies de Chu offrent dix-sept poèmes de Qu Yuan (~343-279 av. J.-C.) traduits et commentés par Rémi Mathieu. Poète au destin tragique qui vécut à l'époque des Royaumes Combattants, il fut le premier auteur chinois connu à signer ses poèmes. Ses évocations riches et somptueuses inspirèrent bon nombre de lettrés chinois.
L'écrivain, poète et calligraphe Shi Bo nous propose dans Femmes poètes de la Chine une compilation de plus d'une centaines de poèmes composés uniquement par des femmes, qu'il a lui-même sélectionnés, traduits et annotés. Ces poèmes appartiennent à la catégorie des lüshi (律诗). Cette forme de la poésie classique au rythme codifié fut pratiquée par des femmes tout au long de l'histoire chinoise pour exprimer leurs états d'âme, leurs douleurs, leurs amours. Dans cette très belle anthologie, certains textes sont même calligraphiés.
Les éditions Moundarren, grâce au travail passionné de Wing fun Cheng et Hervé Collet, ont réalisé de superbes traductions et mises en valeur de poésie chinoises anciennes. Qu'il est bon de piocher au hasard des nombreuses anthologies. Peut-être vous dirigerez-vous davantage vers la plume à la liberté contemplative de Yang Wan li avec Le son de la pluie...ou bien serez-vous davantage séduit par l'extravagante plume de Li Po, entre voyage fantastique et méditation solitaire, entourée par la nature dans le recueil Buvant seul sous la lune...S'il est difficile de choisir, les recueils seront tout à fait adaptés. Eloge de la poésie et des livres en est un bon exemple. Les poèmes et leurs poètes ont été choisi avec soin pour faire parler leur amour du livre et de la communion avec le monde permise par la lecture.
La collection "Connaissance de l'Orient" permet de découvrir de nombreux textes classiques dont les titres ci-dessous.
Aigrettes sur la rizière est une anthologie de chants populaires et de poèmes classiques du Vietnam. Il est difficile de trouver de la poésie vietnamienne traduite en français, ce recueil est donc une mine d’informations sur ce genre très codifié. L’ouvrage commence par une introduction de Lê Thành Khôi, traducteur des poèmes. Bien structurée et détaillée, cette mise en bouche permet de mieux comprendre le contexte culturel et historique qui a vu naître ces poèmes, et les règles métriques et linguistiques qui y sont appliquées. Le recueil se scinde ensuite en deux grandes parties : les « chansons populaires » et les « poésies et proses rythmées classiques ». Le petit plus : chaque poésie est précédée d’une courte biographie du poète ou de la poétesse.
Masnavîs est un recueil de deux grands poèmes narratifs de l’Inde moghole. Leur thème principal est l’amour. Ecrits en ourdou, par l’un des plus grands poètes indo-musulmans, Mîr Taqî, les deux textes La rivière d’Amour et La lai des épisodes de l’Amour racontent des amours impossibles, souvent dues aux différences de statuts sociaux, à des mariages arrangés ou précoces. Magnifiquement construit, chaque texte dévoile à travers différents tableaux une terrible et belle histoire d’amour. Largement autobiographique, on ne peut que ressentir la douleur du poète face à certaines situations. Ces poèmes de par leur sujet sont intemporels et continuent à trouver une résonance en chaque lecteur.
En Corée également, la poésie occupe une place importante. L'érudite d'origine coréenne Ok-sung Ann-Baron a d'ailleurs entrepris un travail fondamental en réalisant la traduction, l'annotation et la transcription d'un grand nombre de poèmes classiques coréens. Le Saule aux dix mille rameaux contient plus d'une centaine de poèmes et chants classés par genre et par période historique. Chaque poète est présenté à l'aide d'une courte biographie qui permet de replacer les auteurs dans le contexte historique. Pour qui s'intéresse aux hanja, les caractère chinois qu'utilisaient les lettrés d'autrefois, ce volume est d'autant plus intéressant. En effet, l'alphabet coréen, le hangeul, est crée au XVème siècle et n'a pas automatiquement remplacé les caractères chinois. L'apparition progressive du hangeul dans les textes est fascinante à observer ! Ivresse de brumes, griserie de nuage, également traduit et présenté par Madame Ann-Baron se concentre sur la poésie bouddhique, entre le XIIIè et le XVIème siècle.
Dans la Chine contemporaine, la poétesse Zheng Xiaoqiong aborde la souffrance physique et psychologique éprouvée en tant que maillon de la chaîne de production d'une usine. Chronique d'un produit - en édition bilingue - laisse une odeur de rouille sous la langue par la force de ses textes.
Gu Cheng est l’un des poètes contemporains le plus connu en Chine. En France, il reste malheureusement peu traduit. Toutefois, depuis quelques années, Yann Varc’h Thorel et Liu Yun s’attèlent à faire connaître l’œuvre de cet auteur à travers la parution de trois ouvrages. Illustres contes illustrés de l’île aux eaux tumultueuses est le dernier ouvrage de Gu Cheng traduit ! Ce livre regroupe les poèmes que Gu Cheng a écrits lorsqu’il vivait avec sa femme et son fils sur l’île de Waiheke, à plusieurs kilomètres de la Nouvelle-Zélande. Mêlant chinois classique et conte populaire, l’auteur entraîne le lecteur dans son monde sensible, dans son quotidien sur cette île tout en faisant de nombreuses allusions à la culture chinoise. Chaque poème est accompagné d’une illustration de Gu Cheng, ce qui fait de ce recueil un très bel objet-livre qu’on prend plaisir à découvrir.
Direction le Japon avec Criminel pour quelques haïkus, un ouvrage de Genji Hosoya qui regroupe ses mémoires de prison écrits entre 1941 et 1945. Comme son titre le laisse entendre, Genji Hosoya fut arrêté par la police spéciale Tokko en 1941 pour avoir écrit quelques poèmes pacifistes. Cet ouvrage est essentiel car il décrit comment s’est construit le consentement à la guerre à cette période au Japon. Le haïjin narre son quotidien carcéral, la vie à Tokyo sous les bombardements. L’auteur alterne entre un ton cru et un humour tragi-comique et insère différents haïkus dans sa prose, ce qui apporte beaucoup de profondeur au texte. Le petit plus : cet ouvrage est bilingue !
Les éditions Circe ainsi que les éditions Bruno Doucey proposent dans leur catalogue, nombre d'ouvrages de poésie contemporaine taïwanaise et coréenne pour Circe et coréenne et indienne pour Bruno Doucey. Les évolutions politiques et sociales, la relation aux autres et à sa propre identité, la solitude urbaine sont des thématiques revenant régulièrement dans ces recueils. Plus récemment, les éditions Philippe Rey ont publié un recueil de Kwak Hyo-hwan intitulé Et toi.... Poète de la mémoire, ses textes font souvent référence à des lieux et des personnages mythologiques importants dans l'imaginaire coréen. Il évoque également l'histoire plus récente du pays, la guerre, la déportation des coréens vers l'Asie centrale ou encore la séparation des deux Corée. L'aliénation à la technologie, l'ultramodernité urbaine et l'abandon d'une ruralité plus vivante sont autant de maux que le poète exprime avec beaucoup de nostalgie et d'amertume. Le pouvoir d'invocation du poète est à saluer, tant il réussit à faire vivre les images et les émotions de ses textes.
Le rayon Jeunesse n’est pas en reste en ce qui concerne la poésie.
A la découverte des saisons du japon, une histoire de Haikus est une véritable promenade dans la nature, accompagnée par les haïkus d’Issa et agrémentée des superbes illustrations de Manda. Contenant des explications sur les onomatopées et les saisons japonaises, cet album est une très belle introduction aux haïkus.
Toujours chez les plus jeunes, mais cette fois-ci en édition bilingue français-japonais, le petit album Haikus d’enfant et de rainette de Chiaki Miyamoto et Gilles Brulet. Parfait comme première lecture du japonais, ce livre comporte de multiples, tous simples et agréables à lire. Les illustrations, réalisées au crayon de couleur, de style naïf sont adorables.
Sur le nez du chiot, une sauterelle est un album magnifique. Une petite parenthèse poétique et onirique. Cinq double-pages sont consacrées à chaque saison, les haïkus sont des invitations au voyage, à la contemplation. Je suis une grande admiratrice du travail de Seng Soun Ratanavanh, chacune de ses illustrations est un plaisir pour les yeux, une balade dans un monde coloré, une plongée dans la nature, accompagné d'animaux… Un monde de rêve. Les dessins sont très japonisants. Un régal pour les yeux.
Camille, Clémence, Léa & Laura